lundi 11 août 2014

Bernard Devisme et l'oscillation des utopies










Catalogue B. Devisme, 2013 (détail)





    



     Il y a dans la peinture de Bernard Devisme un mélange de gaieté et de froideur, d’humour légèrement ironique et de générosité comme si l’être humain était toujours perçu par lui comme un individu incroyablement fragile, unique mais reproductible à l’infini, capable des plus grandes choses et des plus mesquines,  saisi au cœur de ce qui le hante.

     Dans une ou deux toiles que je connais de lui des années 90, cette disposition existait déjà dans sa manière d’appréhender l’espace pur. Le sentiment de solitude en surgit avec force, l’air y demeurant flottant, se brisant à peine sur une forme à l’identification obscure.




Hivernal © Bernard Devisme, 1990





      Dans un autre tableau, c’est par un compartimentage de l’espace que naît le sentiment d’inachevé, de l’indéfini du réel. On dirait que la peinture de Bernard est toujours en train, avec discrétion, d’interroger la condition humaine, sa place dans une imaginaire échelle de valeurs. Sans appuyer, sans idéologie. Cherchant à repérer l’ambivalence fondamentale que chacun porte en soi, sans trop s’en rendre compte la plupart du temps.





Séparation © Bernard Devisme, 1990




     La peinture de Bernard Devisme n’hésite pas à congédier les visions frileuses de la beauté par trop conventionnelle. Ici l’homme, le petit être humain, le petit “quatre-pattes” comme il l’appelle affectueusement mais aussi avec la lucidité ludique qui le caractérise, cet histrion magique et facétieux, capable des pires destructions de soi et de ses semblables n’en finit jamais d’escalader les échelles de ses propres rêves, fussent-ils plus inaccessibles les uns que les autres. Les scènes de meurtres plus ou moins ritualisés ne sont jamais bien loin, et pourtant quelle innocence première aussi dans les joyeuses danses de ces petits êtres qui ne distinguent guère le bien du mal, l’enfer du paradis, la montée et la chute. De la “Divine” à l’Humaine Comédie, il n’y a qu’un pas que le peintre nous invite à franchir allègrement. De l’infinie modestie à l’exubérante folie des grandeurs, notre petit homme parcourt tous les vices et toutes les vertus, toutes les vallées de rires et toutes les montagnes de larmes. La vie lui est une fringale de plaies et de bosses, d’amour entrevu et de tendresse volée au grand silence cosmique. 






Transhumance © Bernard Devisme (collection particulière)







     Bernard Devisme nous restitue l’image mythologique de cet homme total qui ne cesse de nous hanter, y compris au coeur de notre environnement technologique. Ce dont il faut le louer, c’est de refuser, comme le font tant d’autres, de ne nous dire que la moitié de la vérité, de ne nous tendre que la moitié du miroir. Aujourd’hui, peinture engagée ne signifie absolument plus oeuvre mise au service d’une quelconque idéologie; il lui revient bien davantage de s’engager dans l’épaisseur du réel, d’explorer autant qu’il le peut les différentes facettes des esprits et des corps, de confronter sans en privilégier aucune les conceptions historiques, simultanées que l’homme a projetées sur lui-même, sur les oiseaux, sur les arcs, sur les lyres, sur les miracles et les dangers de sa propre pensée. Le kaléidoscope humain vient faire une pause dans cette peinture qui, par certains aspects, tourbillonne et nous renvoie une image de la frénésie intérieure propre au temps.








Envol sublime © Bernard Devisme











                                                                                                  Pierre Vandrepote


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